Le décompte du temps de travail et le travail dissimulé

La Cour de cassation, dans un arrêt du 5 juin 2019, a estimé que l’employeur qui persiste à décompter le temps de travail, en se fondant exclusivement sur une quantification préalable dont il sait qu’elle aboutit à un résultat erroné, se rend coupable de travail dissimulé.

Décompte du temps de travail : un système de quantification préalable prévu par la convention collective

La mention intentionnelle sur le bulletin de paye d’un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli caractérise aussi le délit de travail dissimulé, sauf si cela est la simple conséquence de l’application d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail (c. trav. art. L. 8221-5, 2°). Le caractère intentionnel du délit doit impérativement être établi.

Dans l’affaire sur laquelle s’est penchée la Cour de cassation le 5 juin 2019, une salariée, distributrice de journaux et de prospectus, avait demandé la résiliation judiciaire de son contrat de travail.

Elle reprochait à son employeur d’avoir mentionné sur ses bulletins de paye un nombre d’heures de travail inférieur à celui qu’elle avait réellement accompli. Preuve à l’appui, puisque l’intéressée avait pu faire constater par huissier certaines opérations de distribution non comptabilisées par son employeur.

Pour sa défense, l’employeur faisait valoir qu’il n’avait fait qu’appliquer les dispositions conventionnelles en la matière. En effet, la convention collective applicable (convention collective nationale de la distribution directe) prévoit un système de décompte du temps de travail spécifique pour les distributeurs de prospectus et de journaux. Les employeurs sont ainsi autorisés à recourir à une «quantification préalable» du temps de travail itinérant de ces salariés.

La persistance de l’employeur à se fonder exclusivement sur la quantification préalable caractérise l’élément intentionnel du travail dissimulé

L’argumentation de l’employeur n’a pas convaincu les juges du fond, pour qui cette persistance à se retrancher derrière l’application du système de quantification préalable caractérisait une volonté de dissimuler des heures de travail.

Les juges ont ainsi condamné l’employeur à payer les heures de travail que la salariée avait effectuées au-delà de la quantification préalable et attestées par voie d’huissier. Ils l’ont également condamné  à lui verser l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé [pour rappel, en cas de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié, le salarié a droit, en cas de rupture de son contrat de travail, à une indemnité égale à 6 mois de salaire, sauf dispositions conventionnelles plus favorables (c. trav. art. L. 8223-1)].

La Cour de cassation a validé la décision des premiers juges. Elle estime que, si la dissimulation d’emploi salarié  ne peut pas se déduire de la seule application du dispositif de quantification préalable prévue par la convention collective applicable, elle est en revanche caractérisée lorsqu’il est établi que l’employeur a, de manière intentionnelle, mentionné sur le bulletin de paye un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement effectué.

Or, dans cette affaire, l’employeur était informé de ce que les horaires de travail de la salariée étaient supérieurs aux temps pré-quantifiés et avait interdit à celle-ci de mentionner sur ses feuilles de route les heures qu’elle avait réellement accomplies.

Par conséquent, c’est à juste titre que les juges du fond ont pu décider que la persistance de l’employeur à décompter le temps de travail, en se fondant exclusivement sur la quantification préalable des missions confiées ou accomplies par le distributeur, caractérisait l’élément intentionnel du travail dissimulé.

Cass. soc. 5 juin 2019, n° 17-23228 FPB

 

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